Billet

Lettre aux jeunes parents

Bonjour,

Vous êtes jeunes parents et vous arrivez sûrement ici car, pris d’une angoisse nocturne, vous avez malheureusement tapé dans votre barre de recherche « comment être un bon parent ». Vous êtes évidemment tombé sur une multitude d’articles et de billets vous démontrant par a + b – mais avec bienveillance – à quel point vous êtes des merdes. Ceci dit, cela ne vous change pas trop : les commentaires facebook, les forums, votre entourage, le personnel médical, l’inconnu dans la rue, la boulangère, le conducteur du bus, la vieille du 6 ème, les éditorialistes à la télé, les livres de la librairie, vous ont dit à peu près la même chose. Prenez-le donc comme un principe universel : jeunes parents, vous êtes des merdes et quoi que vous fassiez, vous le faites mal. Vous avez donc besoin de conseils. De beaucoup de conseils. Sur tout : l’allaitement, le biberon, les couches, la poussette, les habits, les chaussures, l’éducation, le sommeil, l’alimentation, le ménage, le travail, le congé, le mode de garde – ou non… La liste est longue. Évidemment, ces conseils se contredisent. Mais sachez une chose : si vous ne les appliquez pas à la lettre, vous serez le pire parent que cette terre ait porté. Comme il est impossible d’appliquer à la lettre l’ensemble des conseils contradictoires, nous rejoignons donc le principe universel énoncé ci-dessus : vous êtes des merdes et quoi que vous fassiez, vous le faites mal.

Et d’une certaine manière, c’est vrai.

Oui, vous faites mal. Vous faites aussi mal que celles et ceux qui commentent sur facebook et sur les forums, que votre entourage, que le personnel médical, que l’inconnu dans la rue, que la boulangère, que le conducteur du bus, que la vieille du 6 ème, que les éditorialistes à la télé, que les auteurs et les autrices des livres à la librairie. Et moi.

Pourtant, vous aviez lu, écouté, analysé – et jugé – votre propre éducation et celles des autres, et alors que l’enfant n’était pas encore là, vous aviez tiré les grands axes, ce que vous alliez faire et surtout ne pas faire. Mais voilà, l’enfant est là. Vous avez dormi deux heures ces dernières 48 heures, bu 72 cafés, votre pyjama est couvert de régurgitation, vous n’avez pas pu vous laver les dents de la semaine, et votre dernière douche remonte à un temps qui ferait pâlir tous les théoriciens de l’hygiène. Vous vous souvenez à peine de votre prénom et vos grands théories éducatives volent en éclat. Il est deux heures du matin et vous vous retrouvez la tête dans un oreiller, à hurler des insultes, tout en vous demandant comment vous vous êtes retrouvées dans tout ce bordel.

C’est : normal.

J’ai essayé d’être inclusive depuis le début mais cessons d’être hypocrite : ce sont surtout les mères qui se retrouvent dans cette situation. Vous êtes dans un couple hétérosexuel égalitaire sur la répartition des tâches ? Super. Il y a pourtant une chose que vous ne pouvez pas partager : les reproches et la culpabilisation. Chers jeunes pères, vous manquez de sommeil et vous êtes au bout du rouleau ? Je vous comprends. Mais il vous manque la cerise sur le mac do : les attentes de la société sur vous. Vous vous occupez de votre enfant ? N’attendez aucune félicitation de ma part, le reste du monde l’a déjà fait. A la maternité déjà, lorsque vous avez changé la couche devant les yeux ébahis de l’infirmière. Ou lorsque vous dites que vous vous levez la nuit et qu’une fanfare sort des buissons pour vous. Il est même possible que Jean Castex vous ait appelé pour vous féliciter. La personne à côté de vous – qui fait exactement la même chose (tout en ayant accouché) – ne bénéficie pas des mêmes encouragements. Il est possible – et je l’ai vécue – que cette répartition égalitaire soit reprochée à votre compagne. Car quand un père en fait autant que la mère, cela signifie que la mère n’en fait pas assez. En outre, il ne vous est pas bien difficile de faire mieux que les modèles proposés. Si vous en faites un peu, vous serez un héro et si vous ne faites rien, vous serez juste un père. Enfin, personne ne rajoute à votre épuisement cette petite remarque que quand même, vous avez bien de la chance d’être aidé par votre compagne. C’est pour cela que vous ne criez pas dans un oreiller à deux heures du matin.

Une répartition égalitaire ne signifie pas un traitement égalitaire.

Ceci étant dit, revenons-en à nos moutons. Oui, vous faites mal. Parce que malgré toutes les préparations, vous n’aviez pas tout prévu. Vous n’aviez pas prévu que le manque de sommeil serez aussi dur, que les gens seraient aussi cons, que vous viviez dans une société qui a des attentes différentes selon qui vous êtes, que le post-partum serait aussi compliqué physiquement, que vous seriez encore vous malgré l’arrivée de l’enfant ou – pour les tout jeunes parents – qu’une putain de pandémie mondiale allait arriver. Vous êtes devenu.e parent mais vous n’avez pas changé. Vous avez votre histoire, vos peurs, vos angoisses, votre caractère, vos envies, vos attentes et bizarrement, tout cela ne rentrait pas dans vos grands plans établis avant l’arrivée de l’enfant. On change dans les coins, on s’adapte, on évolue, mais nous restons les mêmes personnes. Vous êtes une personne. Pas un statut. Tout comme l’enfant qui est là. Et vous êtes des personnes qui se rencontrent. Qui s’adaptent et qui s’ajustent les unes aux autres, qui apprennent, qui se plantent et qui recommencent.

Vous n’empêcherez personne de vous donner des conseils et/ou de vous juger. A moins de mettre des boules kiès et des œillères. Même si vous ne vivez plus dans la même société, à la même époque, que vous avec des enfants différents et une situation différente, il y aura toujours quelqu’un.e pour vous dire ce qu’il faut faire et – surtout – ne pas faire. Pour éviter de péter une pile, essayez de les voir comme les recettes : on prend par ci, par-là, on adapte, on rajoute son grain de sel. Parfois c’est dégueulasse, parfois c’est parfait et des fois c’est juste bof. Et des fois, on n’a juste pas envie de faire le plat que l’on nous présente.

Vous savez pourquoi on donne autant de conseils aux jeunes parents – surtout quand ils ne nous ont rien demandé ? Pourquoi on étale notre parentalité parfaite sur les réseaux sociaux ? Pour se rassurer. Pour se donner l’assurance que l’on n’a pas. Se dire que l’on a bien fait. Que c’est comme ça qu’il fallait faire. Qu’on nous le dise, aussi. Mais en vérité, tout le monde est pareil : la plupart du temps, on chie dans la colle, on patauge, on essaye. On fait semblant de savoir et on fait ce que l’on peut.

Le meilleur conseil que l’on m’ait donné c’est d’être indulgente envers moi-même. Cette indulgence permet de prendre du recul et d’admettre quand on a bien fait et quand on a fait de la merde. Parce que ça arrive. Et je sais que c’est dur quand on ne dort pas. Que physiquement et moralement on est à bout. Ne pas hésiter à demander – et à accepter – de l’aide si on en a besoin. Pas un conseil : de l’aide. A parler, quand on peut. Même mal. Même des choses que l’on souhaite cacher, parce que l’on a honte. Pour que tout cela ne retombe pas sur nos enfants. Ou sur nous. Ou les deux. Et même ça, ce n’est pas une recette miracle. Parce que nous ne sommes pas des super-héroïnes. On a fait des conneries, on en fait et on en fera. Comme tous les parents, même les meilleurs du monde. Nous avons été des enfants. Nous savons. Le tout c’est d’éviter les plus grosses, celles qui rongent et qui détruisent. Et c’est ça le plus dur. Parce que celles-ci viennent de nos silences, à toutes et à tous.

Le seul conseil que je vous donnerai, c’est de ne pas taper comment être un bon parent/une bonne mère dans votre barre de recherche à deux heures du matin. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un.e pour donner son avis. Comme moi. Et c’est chiant.

Et aussi : d’acheter un oreiller moelleux et doux pour pouvoir crier dans un truc confortable quand vous en avez besoin.

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